« Oh, il y a un éditeur BD ici ? »
Cette phrase, je l’entends souvent. Trop souvent. Et je ne peux pas m’empêcher de me dire que cette phrase pourrait être dite quand, au détour d’un entrefilet dans le journal local, le lectorat découvrira la fermeture d’une structure indépendante… en même temps que son existence.
Généralement, quand on me dit cela, il y a toujours d’autres questions qui suivent : « Ah, mais c’est dommage, on ne vous voit jamais » / « Mais pourquoi vous ne venez pas à tel endroit ? » / « Il faudrait faire ceci ou cela »…
Allez, je me lâche ? Je vous préviens, je fais être un tantinet sarcastique.
Salons locaux et autoédition
De plus en plus, sur des salons où j’arrive à présenter mon travail, je vois quasiment que des autoédités.
Je ne vais pas dénigrer cela, il y aussi des gens de talent qui ont fait le choix de quitter un système qui ne leur correspond pas. Néanmoins, sur les salons, il y a une nette majorité de livres qui, soyons objectifs, sont clairement de très mauvaise qualité.
Quelques exemples :
– Bouquins avec des fautes à toutes les pages (je fais des fautes, il y en a même peut-être dans ce texte mais, sur un livre imprimé, il y a un travail de relecture et de correction à faire… On ne peut pas vendre un bouquin truffé de fautes).
– Couvertures réalisées par IA (ça, c’est la nouvelle tendance… on le voit à 10 kilomètres… La couverture ne coûte pas un centime et, derrière, nos livres faisant bosser de vrai(e)s artistes sont jugés trop chers par rapport au machin pondu par une IA et imprimé par une quelconque plateforme non située en France).
– Mise en page en comic sans MS (oui, oui !)
– Qualité littéraire / artistique assez limitée
Au final, le public voit une succession de bouquins assez médiocres et, parfois, va acheter tel ou tel livre car il a été fait par la voisine ou le collègue de boulot… Ce public aura fait sa seule dépense sur l’événement, au détriment des gens dont c’est réellement le travail.
Les organisateurs ne se rendent alors pas compte des conséquences sur la fréquentation (souvent associée à une communication inexistante ou faiblarde) :
Papy Jacquot, qui a sorti son bouquin autobiographique en inventant une anecdote historique locale, est lui content : il a passé une bonne journée, il a vu du monde et il a même réussi à vendre deux livres (au stand voisin et au neveu qui passait dans le coin). Toute façon, papy touche sa retraite donc la vente de ses deux livres n’est qu’un bonus.
Le professionnel, quant à lui, passera un peu pour le râleur de service en déplorant le manque de public et cette journée perdue (n’oublions pas que c’est notre boulot : une journée de salon, pour moi, c’est une préparation la veille et un rangement le lendemain, le tout en se flinguant un week-end).
Un public plus amateur de livres viendra une fois et, ne trouvant pas son compte, ne reviendra pas.
Parfois, quelques passionné(e)s s’égarent et se retrouvent alpagué(e)s sur des stands où le simple bonjour amène à une présentation détaillée de tous les bouquins exposés.
Après avoir écouté poliment la présentation de René et de son magnifique ouvrage sur le pont démoli durant la guerre (par une crue, les Allemands étaient à 300 bornes) ou celle de Jacqueline, spécialisée dans la littérature jeunesse avec les aventures d’un caribou égaré en plein désert, aux illustrations rappelant mes meilleurs travaux en arts plastiques au collège ; le public n’ose plus regarder un autre stand et fuit le regard de l’exposant, craignant une nouvelle interpellation alors que bon, il commence à faire chaud et il va falloir sortir le chien dans pas mal longtemps.
Que fait le pro alors ?
Il espère le client qui sauvera sa journée. La venue providentielle à 17h59 puis, il se dit en rangeant qu’il ne reviendra pas forcément…
Mais, l’année suivante, il hésitera, se disant « ça se trouve, cette année, il y aura plus de monde et je risque de passer à côté ».
Spoiler : non.
L’idéal, ce pro pourrait sélectionner et choisir le lieu qui accueillera mieux, qui aura du public…
Hélas, le choix est rare.
Les salons plus connus
Ces événement, plus importants, sont souvent dans l’excès inverse : la surenchère des grands noms, le culte de la sacro-sainte dédicace (belle, forcément… donc ouste les scénaristes et les coloristes).
L’indépendant, dans ce système, on lui dit un gros zut (à défaut d’un mot plus fécal) : faut comprendre, c’est le libraire qui gère et c’est pénible d’avoir un indé dans le tas car il risque de vendre quelques bouquins de son côté (ouais, parce que bon, on va quand même pas s’embêter à lui commander des livres…).
L’indé fera peut-être un tour le jour J car il habite pas loin et verra quelques tables vides parce que Machin, prix Truchmuche 1997, a finalement eu la flemme le matin et n’est pas venu. Il y aura aussi la table vide de Bidule qui, après une soirée bien arrosée, se pointe à 15h avant de repartir en train à 16h30. Mais, qu’importe, les tickets ont bien tous été distribués et la file d’attente de chaises pliantes est là.
En 1h30, il aura le temps de dédicacer à la chaîne après tout.
Les élu(e)s seront rassurés, il y a eu du monde et un bel article dans le journal.
Il arrive néanmoins que l’indépendant obtienne une réponse positive. Il est « invité ». Non. Je plaisante. On lui dit « Ok ». Puis le prix de la table et de la chaise allant avec. Il viendra à ses frais. Il devra se débrouiller pour se nourrir, se loger le cas échéant, tout à ses frais. Il sera mis là où il y a de la place (généralement, c’est l’endroit pas visible). Sa présence ne sera pas annoncée sur le programme (ah, désolé, nous ne mettons que les auteurs invités) ni sur la moindre communication.
Quand il comptera les frais avancés et les ventes sur le salon, l’indépendant n’aura pas intérêt à rajouter le temps passé sous peine de déprimer sévèrement. Il pourra néanmoins se réjouir en lisant l’article faisant l’éloge de l’invité d’honneur, ayant écoulé ses 60 tickets de dédicace, générant 60 ventes de plus à son éditeur, grand groupe éditorial dont le patron planque quelques deniers hors du pays et payant la grande majorité de « ses » autrice/auteurs au lance-pierres.
Alors, on vous voit où ?
Mon ton volontairement ironique permet d’exprimer une réalité vécue par de très nombreux/nombreuses indépendant(e)s : nous sommes très rarement visibles en librairie ou dans la presse et, malheureusement, la vitrine « salon » est bien souvent quasiment nulle.
Pourtant, nous sommes bien là, nous existons.
Peut-être que ces quelques lignes vous inciteront à parler de nous (quand je dis nous, je pense aux consœurs/confrères sur d’autres régions) à des organisateurs de salons ou, si vous êtes vous-même dans l’organisation de salons, vous poser la question du contenu même de votre salon ou de sa communication.
Donc, oui, vous pouvez nous voir, nous existons, nous sommes bien là… Il faut juste parfois nous chercher un peu. 😉